Vous l’avez certainement entendu depuis son annonce en septembre 2023, la giga-usine Northvolt Six ne fait pas l’unanimité au Québec. Plusieurs critiques concernant l'installation de la manufacture de batteries font constamment les manchettes : désastre pour la biodiversité de la région, mise en place antidémocratique du projet, opacité des processus décisionnels de la CAQ, changement des seuils d’assujettissement pour l’étude du BAPE... Cependant, il est pertinent d'étudier davantage que l’unique construction d'une usine, car Northvolt est la pièce maîtresse d’un nouveau plan bien plus pernicieux: la filière batterie du Projet Saint-Laurent. Il est nécessaire de se doter de deux autres « lunettes d’analyse » pour comprendre tout ce qui se cache derrière Northvolt. Il faut d’abord comprendre la filière batterie spatialement, dans la mesure où elle concerne l’ensemble des territoires, puis temporellement, puisqu'elle s’impose aux populations à travers le temps.

Northvolt Six n’est pas une fin en soi, mais plutôt une composante importante du rouage de toute une filière : celle de la batterie et, par extension, celle de l’automobile. Cette industrie s’inscrit dans un plan de développement économique imaginé par Legault dans son livre Cap sur un Québec gagnant : Le Projet Saint-Laurent1. L’usine suédoise ne pourrait pas fonctionner sans être reliée à une multitude d’autres projets d'infrastructures. Pour exister, cette filière a donc besoin de quatre secteurs d’activités:

(1) Le secteur minier : la batterie nécessite des minéraux dits « stratégiques » pour la transition, soit le graphite, le cuivre, le lithium, le niobium, le zinc, le nickel, le phosphate et le cobalt. Du Grand Nord, en territoire Cri, innu et inuit, jusqu’en Outaouais2 et dans les Laurentides, on assiste actuellement à un nouveau boom minier. Les médias miniers et économiques parlent même d'une véritable ruée vers l'or blanc - autre nom pour le Lithium;

(2) Le secteur de la recherche et de la production : à Bécancour, mais aussi en Mauricie et en Montérégie, plus d’une dizaine d'autres usines appartenant à des multinationales étrangères sont actuellement en construction grâce à des investissements public-privé. De plus, afin de stimuler l’innovation dans ce domaine, le provincial planifie de tout nouveaux centres de recherche, plusieurs étant déjà construits;

(3) Le secteur du transport : il faut développer et « moderniser », aux frais des contribuables, les infrastructures de transport maritime et routier afin de favoriser l’import-export de cette industrie. Contrecoeur, Hochelaga-Maisonneuve, Bécancour, Québec, Lévis... tous les ports en eaux profondes du Québec sont actuellement réaménagés afin de transformer le fleuve en une autoroute maritime. Les autoroutes, quant à elles, seront aussi agrandies là où s'installent ces usines afin d’assurer leur efficience, comme c’est le cas de la 55 et de la 30, et seront entretenues pour le maintien du modèle tout-voiture;

(4) Le secteur énergétique: alimenter ce développement très énergivore exige de nouvelles infrastructures énergétiques. On pense entre autres aux quatre nouveaux barrages hydro-électriques annoncés par Legault, à l’étude de réouverture de la centrale nucléaire de Gentilly-2 à Bécancour et aux nouveaux projets éoliens exploités par des entreprises privées. Le tout se fera en dé-nationalisant la société d’État Hydro-Québec – un processus déjà entamé – et en vendant son électricité à rabais aux industries.

Lorsqu’on relie tous les points, l’impact spatial réel de la filière à laquelle appartient Northvolt prend une tout autre envergure, car elle s’étend à presque l’entièreté du soi-disant Québec3! Ce plan de développement perpétue notre passé colonial et extractiviste sur le territoire en ne le considérant que comme une ressource à exploiter. Même le simple droit de consultation des communautés autochtones n'est à ce jour pas respecté par le gouvernement. Suivant une idéologie néolibérale, la CAQ essaye de nous faire croire que le capital accumulé par ces multinationales à partir de l’extraction et la transformation de nos ressources ruissellera jusque dans nos poches4. Ne nous laissons pas duper, aucune de ces compagnies n’a jamais cherché à émanciper les populations du territoire ni à leur assurer un avenir radieux.

Essayons maintenant de comprendre cette même filière dans le temps. La filière batterie représentera à terme un investissement public-privé de 15 milliards de dollars selon Investissement Québec et la construction de très nombreuses infrastructures susmentionnées. Une fois ces fonds dégagés, le gouvernement ne pourra plus revenir en arrière. On dit qu'il y a un effet de « ​​​​​​​lock-in »​​​​​​ - en français verrouillage: investir aujourd'hui dans de telles infrastructures nous engage dans une voie dont il ne sera plus possible de se sortir. Cela s'appelle une «dépendance au sentier»5. Ce choix nous contraindrait à produire des voitures électriques pour les prochaines décennies​​​​​​, renouvelant ainsi notre mode de vie du tout-voiture: étalement urbain, vie de banlieue, bétonisation des terres arables, définancement des transports collectifs, dépenses dans les infrastructures autoroutières, électrification du parc automobile, urbanisme tout-à-l'auto et destruction de milieux boisés et humides. Tout cela perpétuerait notre dépendance aux multinationales spoliatrices et aux compagnies extractivistes écocidaires qui cherchent à s’inscrire au cœur de notre économie. Emprunter une autre voie pour la transition socio-écologique, comme la consolidation du transport collectif à grande échelle, la densification, la décroissance et l’urbanisme à échelle humaine, deviendrait alors trop difficile, trop cher et incohérent. Derrière les engagements de réduction de gaz à effet de serre (GES) publicisés par les instigateurs de la filière batterie se cache une transition énergétique perverse fondée sur une croissance supposément verte et visant à assurer la reproduction du capitalisme. 

Sur plusieurs générations, les populations du territoire, autochtones comme allochtones, perderaient leur autonomie au profit des « gros joueurs » de la filière batterie qui contrôlent ce marché mondialisé. Le fleuve étant au coeur de son projet économique d'exploitation, Legault réitère notre colonialité en réduisant à néant les espoirs de réconciliation. En investissant dans cette filière, le gouvernement nous amène la promesse d’une aliénation économique, d’une exploitation du vivant et d’un avenir dystopique. 

 

EXTRACTIVISME

L’extractivisme est l’exploitation intensive des ressources naturelles, et ce, sans considération pour ses conséquences destructrices sur l’environnement et les communautés. Une telle exploitation s’inscrit dans la logique de la maximisation des profits à court terme au détriment de la préservation des écosystèmes, de la biodiversité et du bien-être des populations locales. Ce sont les industries d’exploitation minière, pétrolière, gazière, forestière, etc., qui sont responsables de la dégradation de l’environnement, affectant de manière disproportionnée les communautés locales qui dépendent des écosystèmes locaux pour leur subsistance.

L’extractivisme est une continuation des dynamiques coloniales puisque ce sont très souvent les ressources naturelles des ex-colonies qui sont exploitées au profit des puissances ou des élites. Les populations indigènes ou locales sont dès lors dépossédées de leurs terres et de leurs ressources, reproduisant ainsi des schémas historiques de déplacement et de marginalisation. Il perpétue conséquemment les structures de pouvoir héritées de la colonisation, où les élites locales peuvent collaborer avec des intérêts extérieurs pour exploiter les ressources naturelles au détriment des populations locales. Les bénéfices économiques de l’extractivisme se concentrent ainsi en leurs mains.

 

​​​​​​​Notes

  1. Legault, François. (2013). Cap sur un Québec gagnant: Le projet St-Laurent. Montréal: Boréal.
  2. Territoires Inuit, Cri, Innu, Nehirowisi, Anishnabe Waki.
  3. Voir la cartographie sur praxis: Projet St-Laurent - Le Québec comme batterie de l'Amérique du nord. Praxis. praxis.encommun.io
  4. Quiggin, John C. (2012). Zombie economics: how dead ideas still walk among us. Princeton University Press.
  5. Goldstein, Jenny E. et al. (2023). Unlocking “lock-in” and path dependency: A review across disciplines and socio-environmental contexts. World Development, 161, 106116.