Depuis quelques années, des mouvements autochtones réclament la reconnaissance des droits ancestraux sur leurs territoires et la pleine souveraineté sur ceux-ci. C'est le cas du mouvement Ekoni Aci (Atikamekw) et du Collectif Mashk Assi (Innue). Ces communautés sont au cœur de la lutte pour la protection du territoire contre les coupes forestières et les claims miniers, et pour le respect des droits ancestraux.

Les défenseur·e·s de la forêt réclament d'être consulté·e·s pour toute activité se tenant sur leur territoire. En exigeant la pleine souveraineté sur leur territoire, ces mouvements s'inscrivent dans la mouvance plus large du Land back; refusant la dépossession et le colonialisme économique des grandes compagnies forestières et minières, qui extraient les ressources et gardent les profits avec la complaisance des divers paliers de gouvernements.

Dans une lettre adressée au premier ministre du Québec en novembre 2021, où ils exigent un moratoire de 5 ans sur l'exploitation forestière sur l'ensemble de leur territoire, les chefs des territoires ancestraux Atikamekw déclarent que « Ces coupes forestières sont abusives, démesurées et faites sans égard à nos droits. Les aménagements forestiers sont insensibles à notre mode de vie et notre capacité d’exercer nos activités traditionnelles. Cette pratique qui va à l’encontre de nos droits doit cesser immédiatement. »(1) Bien entendu, le décret de ce moratoire est aussitôt ignoré par le gouvernement provincial et les compagnies forestières, qui continuent le saccage comme si de rien n'était.

Le territoire nourrit et offre la médecine traditionnelle aux membres des communautés, il est au coeur de leur mode de vie. L'exploitation effrénée des ressources sans aucune compensation pour les autochtones qui en dépendent signifie la destruction de leur économie traditionnelle et par conséquent, de leur mode de vie. Dans la plus pure tradition coloniale, les compagnies forestières qui procèdent à des coupes massives n'offrent en signe de bonne foi que des compensations ridicules aux communautés, comme du bois de chauffage ou le déneigement gratuit des chemins alors qu'elles font des millions de dollars de profit chaque année.

Barrer la route aux exploiteurs

Début 2022, malgré le décret du moratoire, le Groupe Champoux qui exploite la scierie de St-Michel-des-Saints effectue des coupes illégales sur une érablière traditionnelle, provoquant la colère de la communauté. Avec le support du Conseil de bande, celle-ci établie un premier barrage routier au km 60 du chemin de la Manawan. Le blocus tenu par le « Mouvement 60 » empêche toute machinerie de pénétrer au-delà de ce point et reste en activité durant plus d'un an.

La communauté de Wemotaci emboîte le pas en février 2023 et bloque toute machinerie, dont celle du géant de la déforestation Remabec, à l'aide de plusieurs barricades sur la route forestière 25, près de La Tuque en Haute-Mauricie. Les familles de Wemotaci décident de maintenir en place les barrages malgré une injonction de Rémabec et le désaveu de leur Conseil de bande. C'est la naissance du mouvement « Ekoni Aci » (signifiant Ça Suffit, en Atikamekw), qui réunit des défenseur·e·s du territoire des communautés de Manawan et de Wemotaci.

Un mouvement de la base

Le Conseil de la Nation Atikamekw (CNA), qui regroupe trois communautés soit Manawan, Wemotaci et Opitciwan, est en processus de négociation depuis plus de 30 ans avec les gouvernements provincial et fédéral pour la reconnaissance des droits territoriaux Atikamekw sur le Nitaskinan (leur territoire traditionnel). Au printemps 2023, sans doute grâce à la pression économique exercée par les deux blocages, le processus de négociation s'accélère. Clairement sous la menace des autorités coloniales, le CNA et le Conseil de bande de Manawan font alors volte-face en retirant leur appui aux blocus et en exigeant leur levée le temps des négociations.

Cette tentative de museler la résistance des communautés Atikamekw ravive évidemment les blocages. En mai dernier, plusieurs familles fâchées de la tournure que prennent les négociations et défiant ouvertement le CNA et les Conseils de bande, décident d'établir une deuxième barricade au 16e kilomètre de la route de la Manawan, sur une intersection stratégique permetant le blocage de deux chemins empruntés par les compagnies forestières. La consigne est claire: plus aucune machinerie ne doit entrer sur le territoire. Les habitant·e·s, les passant·e·s, même les villégiateur·e·s et les camions qui sortent le bois sont cependant autorisés de circuler(2) . Le même mois, la pression augmente encore d'un cran lorsque le Collectif Mashk Assi, composé d’Innu·e·s de Mashteuiatsh, bloquent un chemin forestier au 216e kilomètre de la route 175 dans la réserve faunique des Laurentides, au Saguenay. Des avis d’expulsion sont remis à toutes les compagnies présentes sur le territoire, dont la multinationale des pâtes et papiers Résolu, le Groupe Forestra et le Groupe Lignarex. Ces avis mentionnent que «  Les familles gardiennes du Nitassinan [...] demandent de cesser toutes [...] activités forestières et de quitter notre territoire sur le champ.»(3) En plus de l’arrêt immédiat des coupes et l’expulsion des abbateuses, les gardien·ne·s du Nitassinan (le territoire ancestral innu) réclament également un moratoire sur l’exploitation forestière. Le collectif s’oppose également au Traité Petapan qui cherche à éteindre les droits ancestraux des Innu·e·s sur leur territoire.

Feux de forêt

Au mois de juin dernier, dans un tournant dramatique de la situation, tous les blocus ont dû être démantelés à cause de la proximité de plusieurs grands feux de forêts. Les gardien·ne·s du territoire ont redirigé leurs énergies à la défense directe de leur milieu de vie en participant aux efforts pour combattre ces enfers de flammes aux portes de chez elleux. La rapidité et l’intensité des feux de forêt démontrent concrêtement la crise climatiques dont nous commencons à peine à sentir les effets. Les communautés autochtones, qui vivent et dépendent de la forêt, ont été les premières touchées.

Durant l’été, une coalition formée du collectif Mashk Assi, du mouvement Ekoni Aci et des Kanien’kehà:ka Kahnistensera (aussi appellées les Mères mohawks)  fait une sortie publique pour exiger une nouvelle fois, un moratoire sur la coupe forestière, mais également une enquête publique sur l’origine des feux de forêt qui sévissent partout dans la province. Comme le mentionne leur lettre ouverte: « Le gouvernement, par sa mauvaise gestion de la forêt, a créé cette situation de danger extrême dont il est responsable. En priorisant la rentabilité, le gouvernement a créé des forêts de monoculture de conifères qui se transforment en véritables poudrières par temps sec et chaud, au péril de la santé publique. [...] Cet aménagement forestier est axé sur le potentiel de coupe, sur le développement industriel et sur le profit immédiat.»(4)

La lutte continue!

Les mouvements pour la protection des forêts sont d’excellents exemples de luttes concrètes contre l’extractivisme, le capitalisme et le colonialisme. « Alors que Rémabec affichait un revenu annuel de 277 millions de dollars en 2021, le taux de chômage à Wemotaci s’élève à 30% et à 25% à Manawan, soit plus de 6 fois la moyenne provinciale. La contradiction entre la richesse extraite des terres atikamekw et l’appauvrissement profond de ses habitant·e·s a été un facteur clé qui les a poussés à créer le mouvement. »5 À l’heure de mettre sous presse, les membres du collectif Mashk Assi ont rétablis leur barrage et le blocus est toujours en vigueur.

Il est important pour les mouvements écologistes et alliés anticoloniaux de soutenir les luttes autochtones de base. En pleine crise climatique, le mouvement écologiste doit être à l’écoute des autres communautés en lutte, pour prendre en compte les préoccupations des premier·ère·s concerné·e·s, pour éviter les divisions dans le mouvement, et éviter de reproduire les dynamiques coloniales. Nous serons ainsi plus fort·e·s de la diversité des pratiques et de nos expériences.

 

Notes:

1. Nitaskinan, le 2 novembre 2021. https://rb.gy/v4mw6

2. Les camions sont autorisés à sortir les arbres déjà coupés pour éviter le gaspillage du bois qui pourrait pourir sur place, ce qui serait néfaste pour les écosystèmes en relâchant entre autres des quantités élevées de mercure dans la nature.

3. https://rb.gy/cizky

4. https://rb.gy/z0e7k

5. https://bitly.guru/OwtUu

 

Levée de fonds du Mouvement Ekoni Aci: https://rb.gy/uvnw0

Levée de fonds du collectif Mashk Assi: https://rb.gy/a7ilo