La COP15 est très efficace pour promouvoir une approche de la biodiversité basée sur la "gestion des actifs", qui promeut une vision marchande de la nature. Cette approche permet en fait aux capitalistes de générer plus de profits à partir de la dégradation écologique, tout en forçant les communautés du Sud à fournir un accès et un contrôle accrus de leurs terres aux gouvernements et aux puissantes ONG du Nord. Depuis le tournant du développement durable dans les années 1990, les instances de l'ONU ont fortement intégré l'idée de croissance économique, ce qui transparaît dans la plupart des instances. La marchandisation du vivant est une des conséquences de cette vision économiciste qui sera discutée ici.

Selon les économistes néoclassiques dominants, la nature est détruite parce que sa valeur réelle a été négligée par les marchés financiers. Ainsi, pour inverser la tendance à la perte de biodiversité, ils affirment que nous devons mettre un prix sur les forêts tropicales, les zones humides et les écosystèmes marins. Dans le cadre du capitalisme, la marchandisation des "services écosystémiques" est le seul moyen de rendre ces systèmes naturels "visibles" pour les marchés financiers. Ce cadre développe la fausse croyance que la perte de biodiversité n'est qu'une question de juste prix. 

Qu'y a-t-il de mal à transformer la nature en marchandise pour tenter de la sauver ? En termes simples, une marchandise est une chose qui peut être échangée contre une autre. La marchandisation de la nature crée de fausses équivalences qui éliminent complètement toute la complexité essentielle aux écosystèmes eux-mêmes. D'un point de vue écologique, 50 espèces pollinisatrices​​​​​​​ ne sont pas échangeables contre 20 jeunes arbres ni contre 2 oiseaux en voie de disparition. Les écosystèmes sont des réseaux d'interdépendance: il n'y a donc pas d'équivalence possible, les vers de terre, les abeilles et les plantes ont besoin les unes des autres pour survivre, en retirer une c'est les menacer toutes. C'est pourquoi la biodiversité est aussi vitale: si une espèce disparaît à cause du réchauffement climatique, une autre doit pouvoir reprendre son rôle pour éviter l'écroulement de l'écosystème. La destruction d'une forêt dans une partie du monde n'est donc pas échangeable contre la protection d'une forêt de taille similaire ailleurs. Et pourtant, le fait que les communautés et les écologistes soient de plus en plus contraints de décrire les habitats dont ils ont la charge en termes de biens, de services et de "capital naturel" échangeables, dans le cadre de leurs efforts pour les protéger de toute dégradation supplémentaire, témoigne de la pénétration profonde de l'économie capitaliste dans la science dominante. 

Prenons, par exemple, l'idée de paiements pour les services écosystémiques. Selon cette approche, les économistes attribuent une valeur monétaire aux services que les écosystèmes naturels rendent aux êtres humains - l'atténuation du changement climatique, les services des bassins versants et la conservation de la biodiversité sont des exemples de "services naturels" fournis par des entités non humaines comme les forêts et les zones humides. En formulant les choses de cette manière, les propriétaires fonciers peuvent dans certains cas faire payer les gens pour continuer à accéder aux "services naturels" auxquels ils ont longtemps eu accès gratuitement. Dans de nombreux cas, les producteurs et les propriétaires fonciers ont trouvé un moyen de monétiser l'acte de ne pas nuire et de répartir les coûts entre les populations et les gouvernements. 

Les stratégies de valorisation de la nature tendent systématiquement à écarter les utilisateur·trice·s du territoire. Ici, la communauté Jenn Kuruba chassée d'une forêt désormais utilisée comme réserve de tigre.

Décrire la nature en termes d'unités de services écosystémiques permet également de créer des marchés de crédits de compensation. Les crédits permettent aux entreprises de continuer à détruire la nature et à polluer pour faire des profits, même lorsque des réglementations législatives limitant la destruction des habitats et la pollution sont en place. En fait, les marchés de compensation permettent aux capitalistes de générer de la richesse à partir d'une source nouvelle, abstraite et fictive : les gens peuvent acheter, vendre et spéculer sur la réduction des coûts résultant du respect de la législation environnementale par les entreprises. En d'autres termes, les marchés de crédits (de la biodiversité et du carbone) permettent aux capitalistes de transformer la législation environnementale elle-même en une entreprise à but lucratif.

Selon de nombreux systèmes de compensation de la biodiversité, une entreprise peut acheter et détruire un habitat abritant une espèce gravement menacée à condition qu'elle achète également un certain nombre de "crédits de compensation" auprès d'une banque de biodiversité certifiée. Ces crédits sont destinés à financer l'achat de terrains destinés à la conservation de cette espèce ailleurs dans le monde, selon la croyance erronée que la protection de l'habitat ou la reforestation dans une région du monde peut simplement "compenser" le préjudice causé par la destruction de l'habitat ailleurs. D'un point de vue écologique, la richesse d'un acre de forêt amazonienne ne pourra jamais être "compensée" par le reboisement d'une parcelle de terre ailleurs, mais les marchés de compensation permettent aux entreprises de passer outre en réduisant la complexité d'un habitat à de simples chiffres que l'on peut faire passer pour équivalents à une autre parcelle de terre grâce à une comptabilité    créative capitaliste. Le concept de banque de biodiversité devient encore plus absurde lorsqu'il est appliqué à des futurs abstraits. Selon certains cadres de compensation, vous pouvez détruire une zone humide existante si vous mettez de l'argent dans une "banque de biodiversité" pour la création d'une future zone humide théorique - un habitat qui n'existe littéralement pas encore et qui peut être, en réalité, impossible à faire exister. 

La COP15 approfondit et normalise les modèles par lesquels le vivant est commercialisé. On s'éloigne donc encore plus d'une réelle compréhension de la logique propre aux écosystèmes en tentant de leur calquer nos modèles économiques. Les solutions qui peuvent en émerger ne peuvent qu'être contreproductives et inefficaces. Nous n'avons pas le luxe de continuer à promouvoir des fausses solutions pour inverser la perte de biodiversité alors que nous avons la possibilité de mettre en œuvre des alternatives anticapitalistes et anti-impérialistes qui fonctionnent. 

Capitalisme vert