Les banques et les ONGs mondiales sont prêtes pour le grand saut vers les crédits de biodiversité, comme l'annonce le dépôt d'un document de 40 pages de l'OCDE sur les crédits de biodiversité. Cependant, l'instauration des crédits carbone depuis le protocole de Kyoto n'ont rien amélioré 15 ans plus tard. Voyons pourquoi il est impératif de refuser ce genre de solutions au déclin de la biodiversité.

Un crédit carbone équivaut à une tonne de CO2 ou son équivalent en gaz à effets de serre. Les crédits de carbone se basent sur l’idée que le réchauffement climatique est un problème global, et donc que nous pouvons réduire l'émission de gaz à effet de serre qui causent le réchauffement climatique n’importe où dans le monde. Ces crédits peuvent être l'objet d'échanges et de transactions, avec comme objectif de mettre un prix sur l'émission de gaz à effets de serre. Il semble logique que les pays puissent échanger leur droit de polluer, par exemple si les travailleur·euse·s de certains pays reçoivent des salaires plus bas, il serait logique de qu'iels puissent compenser la déforestation dans les pays où les salaires sont les plus élevés?

On voit dans ce vidéo la position d'un leader Huni Kui sur les projets de compensation de carbone

D’abord, dans le cas des crédits de carbone, il faut ouvrir la boîte des calculs des émissions historiques de CO2. En effet, dans le traité de Paris, comme dans les traités précédents, on utilise les gaz à effets de serre produit dans chacun des pays. Cela ne prend pas en compte par exemple que l'Asie produit la vaste majorité de nos appareils électroniques. Ne serait-il pas plus raisonnable, puisque tout les pays du monde n’ont pas profité également du pétrole (et de l’enfer automobile qu’il apporte) depuis les années 1930, de considérer l’émission historique des différents pays pour voir qui n’aurait pas encore brûlé son quota de combustible fossile? Cela serait certes raisonnable, mais il apparaîtrait aux yeux de tou·te·s que le Canada, les États-Unis et l’Europe, étant les plus grands pollueurs, auraient déjà bien rempli leurs quotas. Or, les crédits de carbones s'adressent à celleux qui peuvent payer 10% de plus pour leur billet d’avion vers Cancun pour voir le gaz à effet de serre compensé. Ou pour le dire plus directement : les crédits de carbone servent à légitimer la consommation des personnes les plus riches des pays les plus riches. Mais au contraire, ce devrait être les riches des pays les plus aisées qui cessent la destruction de la planète au plus vite. 

Appliquer cette logique à la biodiversité va apporter les mêmes problèmes: on pellete les problèmes dans la cour des pays les plus pauvres. C'est une manière de nous garantir que l’on continue à manger des OGMs cultivés en monoculture pendant encore longtemps… mais que ces monocultures soient compensées par la préservation de l'animal qui coute le moins cher à sauver.

Vous avez pas vraiment besoin d’aller plus loin pour voir à quel point l’idée est absurde, mais patience, ça s’améliore. Pour qu'une espèce soit jugée « apte à compenser », il faut que quatre conditions soient remplies : l’additionalité, la permanence, le non-dédoublement et la prise en compte des effets secondaires. Ce sont les principes qui sont appliqués pour déterminer actuellement si un crédit de carbone peut être accordé, et ces principes font du sens… pour les gens qui veulent continuer à polluer. Observons les uns à uns pour constater l’ampleur du problème.

Premièrement dans pour qu'un crédit soit accordé, il faut qu'il se base sur un dommage à l'environnement estimé. Plus une compagnie planifie polluer, plus elle est éligible à de larges crédits. Alors les compagnies ont tout avange à présenter des projets les plus polluants qu'ils ne le sont vraiment, pour obtenir des crédits pour les rendre leurs projets plus «verts». Évidemment, les scandales s’empilent parce que les mécanismes demandent beaucoup de spécialistes, d’avocats, de comptables et d’investissement financiers. Avec les crédits de biodiversité, les entreprises vont littéralement prendre en otage des espèces animales dans leur planification : « si vous ne nous donnez pas 4 millions de dollars supplémentaire, on utilisera assez de glyphosate pour tuer les dernières rainettes faux-grillon dans notre plantation de maïs ».

Deuxièmement, il faut que les transformations soient permanentes, c’est-à-dire que les arbres qui sont plantés, par exemple, restent plantés dans le sol. C’est excessivement complexe dans le contexte où les écosystèmes sont mouvants, à moins que par exemple, les plantes soient transformées en charbon qui soit remis dans le sol. Qu’est-ce qu’on fait par exemple avec une monoculture d’épinette ravagée par la tordeuse, qui va bientôt se décomposer pour relâcher son précieux carbone? La seule façon dont on On s'imagine la même chose avec la préservation des espèces: sans les équilibres écosystémique, il est impossible que les animaux survivent longtemps. 

Troisièmement, il ne faut pas que les projets soit comptés deux fois. Les disputes sur cet enjeu précis sont intéressantes : le Brésil demande de compter les efforts qu’il fait pour ralentir la destruction de la forêt amazonienne. Du même coup, avec les réchauffements climatiques, les forêts aux pôles s’étendent d’autant plus vers le nord et le sud, à cause de la destruction du pergélisol. Qu’est-ce qu’il faut alors compter, la fonte du pergélisol qui libère du CO2 ou la croissance des arbres? Pensez surtout aux avocat·e·s internationaux, aux actuaires, aux négociateur·trice·s, aux diplômates qui salivent devant les contrats qu’iels auront pour résoudre ces questions, en mangeant du caviar dans des sommets internationaux.

J’ai gardé le meilleur pour la fin : les effets secondaires. Vous imaginez le problème : dans plusieurs pays, si on plante des arbres sur des terres qui étaient occupées par des paysans, ou pire encore sur des terres où des communautés nomades venait cueillir des plantes de manière saisonnière, ces personnes risquent d’utiliser des terres adjacentes. Il y a donc effet secondaire: la protection d'une zone entraîne la destruction ou l'utilisation d'une autre. Pour éviter ces effets secondaires, si on « sauve une forêt », il faut alors la protéger, la surveiller, c’est évident. Bref, pour s’assurer de la biodiversité, il faut qu’il y ait une « bonne gouvernance », c’est-à-dire que l’on s’assure de réprimer les paysan·ne·s et les communautés autochtones qui risquent d’aller déboiser plus loin lorsque leurs terres seront volés pour préserver des espèces menacées. Ça va donc prendre plus de flics.

Les crédits de biodiversité comme les crédits de carbones ne servent qu’à légitimer la continuation de la consommation des plus riches des pays du Nord global. Pire, elles viennent favoriser un enchevêtrement de politicailleries qui viennent s’assurer du maintient de la domination des populations les plus pauvres du globe. Les populations paysannes et autochtones sont parmi les plus marginalisées et les plus défavorisées, mais ces populations sont celles qui détruisent le moins la planète par la consommation, simplement parce qu’iels ne peuvent pas se permettre d’acheter grand chose. Même que certaines communautés autochtones pourraient avoir un effet bénéfiques sur leurs territoires. En effet, iels possèdent quand même les stratégies les plus soutenables pour la planète, comme le suggère plusieurs agronomes. Iels seront aussi les plus touchées parce qu’iels dépendent directement des écosystèmes pour leur survie. Au lieu de prendre en compte leurs expériences, on va donner du fric à des gens qui crachent sur les plus démuni·e·s en tentant de les forcer à sauver la planète à leur place. Ne leur laissons pas cette chance, bloquons la COP15.