PRGT : Une stratégie prédatrice
Naviguant le long de la vallée de la rivière Nass, pendant une douce journée de juillet, du haut d’un catamaran d’un jaune vibrant, nous nous échangeons la seule et convoitée paire de jumelles, dans une tentative désespérée d’apercevoir ne serait-ce que l’ombre d'une baleine à bosse, ou d'un grizzly au bord de la plage. C’est un tableau idyllique, mais teinté de tristesse : cet estuaire à saumons est aussi l’endroit exact qui a été choisi pour installer le terminal du plus récent méga projet colonial de la Colombie-Britannique, la phase 2 de LNG Canada : le gazoduc Prince Rupert Gas Transmission (PRGT).
C’est du déjà-vu pour les chefs héréditaires, qui n’ont pas oublié la défaite initiale de ce gazoduc zombie en 2017 et le combat acharné contre le gazoduc Coastal Gaslink non loin de là. Le nouveau gazoduc PRGT est synonyme de Coastal Gaslink, à plusieurs égards. Tous deux initialement établis par l’infâme TC Energy, ces projets, de manière plutôt incestueuse, partagent en commun de nombreux membres du personnel en roulement perpétuel, y compris le lobbyiste en chef et le directeur des affaires Autochtones, qui disposent d’une stratégie finement élaborée visant à imposer leurs projets aux communautés autochtones qui s’y opposent.
Coastal Gaslink et le gazoduc PRGT proposé ne sont pas des exemples isolés : l’industrie mondiale des combustibles fossiles a soigneusement développé une stratégie visant à instaurer de manière définitive de nouvelles infrastructures de bombes carbones, dans un effort désespéré d’extraire les dernières gouttes de combustible fossile. Confrontées à de vives critiques du public, les entreprises sont forcées de recourir à des stratégies qui vont au-delà de l’écoblanchiment habituel, et de déployer des tactiques encore plus sournoises afin de conserver l’acceptabilité sociale pour pouvoir poursuivre leurs opérations, écraser l’opposition et siphonner l’argent des contribuables. Ce sont des tactiques éprouvées pour imposer les méga projets de l’industrie des combustibles fossiles, et d’importantes compagnies pétrolières en ont abusé partout dans le monde, du Nigeria à l’Irlande. Si nous voulons mettre cette industrie mortifère à genoux, nous devons l’attaquer de tous les côtés, et créer des failles dans l’entièreté de sa stratégie pétrolière.
Lorsqu’on l’examine avec du recul, cette stratégie pétrolière prédatrice se dévoile, révélant trois principaux piliers stratégiques :
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vendre les bénéfices à court terme aux communautés au moyen de l’écoblanchiment, de la division de l’opposition, et de la négligence à bien communiquer les vrais risques;
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exercer des pressions sur les gouvernements dans le but d’obtenir du financement pour les projets, de diriger les forces policières contre les défenseur·e·s du territoire, et de tirer parti des failles règlementaires afin de rendre les projets viables;
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se transformer pour protéger les PDG et les actionnaires, déchargeant les coûts aux communautés et aux contribuables, particulièrement lorsque le projet va mal.
Avant de me lancer dans la façon dont cette stratégie s’applique au gazoduc PRGT, le prochain grand affront au climat et aux droits des Autochtones, voici un bref survol de l’histoire de ce projet et de la résistance qui s’est dressée contre lui. L’avenir de ce projet est incertain, et bien que l’examen d’évaluation environnementale qui décidera de son sort ne soit pas terminé, il se passe beaucoup de choses derrière les coulisses visant à faire accélérer l’installation de cet immense gazoduc.
Vendre
Pour démarrer et accélérer ce méga projet colonial, Western LNG et le gouvernement de la C.‑B. tenteront de diviser les communautés au moyen de bénéfices à court terme, sous le prétexte de la « réconciliation économique ». Alors que Western LNG a vanté les bénéfices du projet, consistant en quelques emplois dans le domaine de la construction et revenus à court terme, l’entreprise a délibérément négligé de communiquer tous les risques écologiques, sociaux et financiers qui menacent la Nation Nisga’a, un partenaire financier. À ce jour, les membres de la communauté n’ont pas été informés des risques liés au projet, des prêts potentiels, des coûts occasionnés aux membres de la Nation et de la source de financement du projet. Par conséquent, il y a de plus en plus de divisions au sein de la Nation Nisga’a en ce qui concerne les dommages, les coûts et les risques possibles. Richard Cecil Mercer, un membre de la Nation Nisga’a, a organisé une pétition avec plus de 200 signatures de membres de la Nation Nisga’a afin de pouvoir déposer une injonction contre le PRGT, et a plus tard continué le combat en dressant une barricade contre la construction du PRGT sur les territoires de la Nation Nisga’a. Comme sa participation financière au projet est de 50 %, la Nation Nisga’a est maintenant exposée à plusieurs risques. Le marché mondial du GNL (gaz naturel liquéfié) s’attend à une offre excédentaire à moyen terme, aux alentours de 2030, lorsque ces projets seront publiés en ligne. Ces risques liés au marché et le dépassement des coûts de construction entraîneront une hausse des coûts des opérations, et les marges de profit s’enfonceront ensuite dans une spirale de dettes. Les exportations de GNL entraîneront aussi des factures plus élevées pour tout le monde en Colombie-Britannique, augmentant le prix de l’électricité et du gaz naturel. Ainsi, Western LNG et le gouvernement britanno-colombien imposent le PRGT en créant des divisions au sein des communautés, et ce, en insistant uniquement sur les bénéfices économiques à court terme et en occultant les risques environnementaux, sociaux et économiques qu'elles endossent malgré elles.
Exercer des pressions
Afin de rendre ce projet viable, TC Energy et Western LNG ont travaillé sans relâche pour exercer des pressions sur le gouvernement, tentant d’obtenir du financement et d’exploiter des failles règlementaires. Le magazine en ligne The Narwhal, dans une enquête incriminante, a publié des enregistrements dans lesquels un cadre de TC Energy déclarait exercer une influence sur le gouvernement de la C.-B. en matière de réglementation climatique. Lors d’un dîner-conférence sur la plateforme Zoom destinée aux cadres de l’entreprise, Liam Illiffe s’est vanté des tactiques de lobbying acharnées de TC Energy, allant de la stratégie wine-and-dine (une stratégie qui consiste à servir des repas et du vin pour influencer les ministres) à de luxueux voyages de lobbying en Asie en compagnie du premier ministre et à des réunions tenues par « coïncidence » avec des ministres dans des aérogares et la section de produits réfrigérées de Costco. Et il semblerait que ces activités néfastes de lobbying aient déjà porté fruit. Depuis avril 2023, les activités de lobbying de TC Energy ont transformé les politiques de la C.-B. en matière de taxe carbone, réduisant de 50 % la responsabilité de TC Energy. De plus, cette entreprise est aussi responsable de la nouvelle prise de position du premier ministre en ce qui concerne le gaz naturel liquéfié. Lorsqu’il a été élu en 2022, le premier ministre britanno-colombien David Eby a notoirement déclaré : « Nous ne pouvons pas continuer l’expansion des infrastructures d’exploitation de l’industrie fossile si nous voulons atteindre nos objectifs climatiques ». Deux courtes années plus tard, Eby a révélé « Nous négocions avec [LNG Canada] afin de déterminer comment atteindre nos objectifs mutuels ». Ces résultats stupéfiants sont possibles grâce à un lobbying tenace et bien financé auprès des fonctionnaires. Mais, la lutte est loin d’être terminée; ces entreprises sont furieusement occupées à préparer leur liste de souhaits, et planifient de rencontrer le gouvernement du NPD récemment élu.
Se transformer
En cette époque dangereuse de l’industrie fossile, il est plus important de faire approuver de nouveaux projets et de montrer sa croissance aux investisseurs, que de faire l’extraction et l’exécution d’un projet profitable. Les entreprises de l’industrie fossile se transforment et se déforment afin d’adopter la configuration qui leur permettra d’imposer leurs projets. Dans le passé, PRGT appartenait à la controversée TC Energy (2014-2024), qui a déchargé le projet sur Western LNG et la Nation Nisga’a en juin 2024. Western LNG est une nouvelle entreprise qui n’a aucune expérience préalable quant à ce type de projet et dont le financement privé manque de transparence; il s’agit d’un partenariat risqué avec une coquille vide. Ces entreprises de l’industrie fossile qui se transforment sont notoirement habiles lorsqu’il s’agit de créer des failles réglementaires leur permettant de faire avancer leurs projets. PRGT tente de faire immortaliser son certificat d’évaluation environnementale qui date d’il y a 10 ans, sans nouvel examen. Cela est déconcertant, pour plusieurs raisons. Le projet ressuscité n’est presque plus reconnaissable, avec un nouveau tracé et un nouveau terminal. De plus, le climat de la C.-B. et les lois autochtones ont changé, tout comme les conditions climatiques. Nous savons que le GNL est pire que le charbon et qu’il remplace souvent l’énergie renouvelable; c’est loin d’être un « pont » vers la transition énergétique. Si le projet de GNL en C.-B. se concrétise, il pourrait détériorer le climat à une hauteur évaluée à un milliard de dollars.
En mars 2025, la ministre de l’Environnement nouvellement élue, Tamara Davidson, doit décider si le gazoduc PRGT peut aller de l’avant, ou s’il faut recommencer le processus d’obtention de certificat d’évaluation environnementale. Cependant, nous ne pouvons pas faire confiance aux gouvernements coloniaux en ce qui a trait au respect des droits des Autochtones et à la demande d’un nouvel examen d’évaluation environnementale. En tant que mouvement, nous devons nous préparer dans l’éventualité où ce projet soit approuvé et mis en branle au début de ce printemps. Pour confronter la stratégie prédatrice de l’industrie pétrolière, nous devons nous informer, nous organiser et nous préparer à l’approche des mois tumultueux qui s’annoncent.