L’importance de la souveraineté des Autochtones sur leurs terres a été comprise par les politicien·ne·s, par les industries minière et pétrolière, ainsi que par les idéologues de droite, qui comprennent la menace qu’elle représente pour l’expansion des industries extractives. C’est pourquoi les compagnies et les gouvernements cherchent activement à mettre en place une acceptabilité sociale à l’implantation de leur projets sur les terres Autochtones. Leur nouvelle stratégie consiste à s’approprier les concepts de réconciliation économique et de partenariat avec les communautés Autochtones. Or, se faire passer pour des allié·e·s des Autochtones tout en faisant du profit sur l’exploitation de leurs territoires, c’est du redwashing, que l’on pourrait traduire par colonblanchiment.
Bien sûr, l’industrie extractive ne peut pas effectuer seule l’entièreté de cette propagande : elle a donc trouvé des allié·e·s dans les conseils de bande pour défendre ces positions. À l’instar des hommes antiféministes qui s’appuient sur des femmes antiféministes pour légitimer leur discours (on n’a qu’à penser à Denise Bombardier, par exemple), les élites coloniales cherchent l’approbation des Autochtones pour poursuivre leurs activités coloniales. Dans le cas de l’industrie de la fracturation hydraulique et du gaz naturel liquéfié, derrière les projets CGL et PRGT, la First Nations LNG Alliance s'est formée en 2015, unifiant les communautés ayant signé des accords de bénéfices avec l’industrie du gaz naturel. L‘objectif de la stratégie de réconciliation par le développement économique vise à prendre en exemple et à visibiliser les communautés Autochtones qui appuient l’industrie des combustibles fossiles. Dans le cas du PRGT, la Nation Nisga’a a mordu à l’hameçon et est devenue copropriétaire du projet.
Sibo Chen, chercheur et analyste critique de la politique de communication du gouvernement britanno-colombien, soutient que « l’amélioration des relations entre les Nations Autochtones, l’État et les industries extractives résulte souvent de la légitimation de leurs industries sur les terres Autochtones1 ». Ces élites coloniales ne se cachent pas d’influencer des communautés en faveur de leurs projets, les recherches pro-industrie répétant systématiquement les termes « permis social d’exploitation ». La réconciliation économique est devenue un mot-clé pour l’industrie qui tente de continuer ses stratégies centenaires d’extraction, cette fois sous le couvert d’un partenariat avec les communautés Autochtones. Après la traite des fourrures, les coupes forestières et la pêche, le gaz naturel est la prochaine cible de cette campagne.
Pendant ce temps, les grandes banques financent à coups de milliards les pétrolières, les gazières et les minières, puis redorent leur image en participant à la Commission de vérité et réconciliation, en embauchant deux-trois Autochtones, en finançant les études de quelques jeunes Autochtones ou en commanditant des musées Autochtones. Ces monstres capitalistes de la finance utilisent donc la même stratégie de colonblanchiment que les entreprises extractives coloniales.
L’activiste afro-indigène de la Nation Stellat’en, Janelle Lapointe, a beaucoup écrit sur cette industrie et la stratégie discursive de l’État. Elle montre comment le nouveau langage de la réconciliation économique est une façon de contourner l’enjeu plus profond qui consiste à restituer la terre et sa souveraineté aux communautés Autochtones. Lapointe fait ainsi écho à l’argument d’Arthur Manuel (un auteur Autochtone reconnu) qui soutient que les populations Autochtones ont longtemps souffert de leur appauvrissement dû à la colonisation. Les personnes Autochtones ne sont pas pauvres à cause d’un défaut biologique ou culturel, mais parce qu’elles ont été confinées sur des réserves qui ne représentent que 0,2 % du territoire canadien, la source de toute la richesse du pays.
Les communautés se font présenter un choix binaire par les projets de gaz naturel, soulignant que l’intégration de leur communauté dans le système capitaliste est la seule façon de faire cesser la souffrance de leur peuple. Ainsi, il est important de ne pas blâmer les communautés qui endossent la réconciliation économique, car c’est surtout le reflet du processus colonial qui continue jusqu’à aujourd'hui.
Mais, l’histoire des communautés qui endossent la réconciliation économique servira et sert déjà à faire taire l’opposition au gazoduc PRGT. Certaines politiques identitaires de gauche ont créé une peur de s’opposer à quoi que ce soit qui soit mené par des Autochtones. Les politiciens et les dirigeants d’entreprise l’ont compris, et l’utilisent à leur avantage en tentant de mobiliser autant de partenariats Autochtones que possible. Les libéraux comme les conservateurs, l’industrie extractive et les Autochtones qui collaborent avec l’industrie sont bien contents de pouvoir mobiliser l’argument qu’ils suivent des leaders Autochtones pour dissuader les opposant·e·s au projet. En effet, bien des gens qui s’opposeraient à ce nouveau projet seraient découragé·e·s de le faire puisqu’il est appuyé par des communautés Autochtones. Ce redwashing n’est que de la poudre aux yeux : qu’elle soit menée par des blanc·he·s ou des Autochtones, la dévastation des territoires Autochtones a toujours une origine coloniale!
1 Chen, Sibo, Promoting BC LNG, tiré de Energy politics and discourse in Canada: Probing progressive extractivism. Routledge.