Le conflit entre les Gitxsan et le soi-disant Canada met en lumière la relation intrinsèquement coloniale qu’entretient l’État avec les peuples Autochtones. En 1868, la reine Victoria a transféré le territoire de la Compagnie de la Baie d’Hudson au Dominion du Canada, faisant du gouvernement canadien le propriétaire de terres occupées par des centaines de milliers d’habitant·e·s. Depuis, les autorités coloniales continuent leur répression sur les habitant·e·s déjà sur le territoire, qui résistent et luttent pour maintenir leur mode de vie traditionnel. Afin de tenter de déjouer cette présence qui gêne l'État canadien, ce dernier met en place une série de mesures. Celles-ci sont révélatrices de la nature profonde du « Canada » : un État qui perpétue le colonialisme d’établissement. Le présent article définira d’abord ce terme avant de présenter les trois principales caractéristiques de celui-ci.
Colonialisme d’établissement : une définition
Tout d’abord, le colonialisme est le processus par lequel un colonisateur envahit un territoire, l’occupe, y exploite ses ressources ainsi que sa population – les colonisé·e·s. Ceci se produit à l'intérieur même du soi-disant Canada alors que l’utilisation du territoire se fait de plus en plus intensément pour développer l’industrie capitaliste. Cette domination est également caractérisée par un système de justifications. Par exemple, le principe de terra nullius a été mobilisé par les colon·ne·s pour légitimer l’occupation du territoire. Selon celleux-ci, du fait que plusieurs peuples Autochtones étaient nomades, les Européen·ne·s considéraient donc que ledit territoire était inhabité puisqu'il n'était pas cultivé. De ce fait, ielles pouvaient donc le peupler, selon ce système de justification. Plus tard, avec la montée de la modernité en Europe, l’idéologie raciste, affirmant à tort qu’il existe des races et que celles-ci déterminent la hiérarchie entre les humain·e·s, est utilisée afin de naturaliser le statut de « dominé·e » d’un peuple.
Le concept de colonialisme d’établissement caractérise les relations entre le soi-disant État canadien et les peuples Autochtones. En effet, il permet de préciser le type de colonisation qui a lieu sur ce territoire (Dabin, 2021, p. 18). Il se distingue par exemple du colonialisme d’exploitation, puisque le but de l'invasion n'est pas de tirer profit de la force de travail des Autochtones. Ainsi, le colonialisme d’établissement est défini comme l’ensemble des pratiques et des structures des colonisateurs visant à éliminer la population colonisée afin de s’installer sur ledit territoire de façon permanente.
La logique d’élimination
Premièrement, une des caractéristiques du colonialisme d’établissement, c’est qu’il constitue une invasion perpétuelle. En effet, sa logique est d’éliminer culturellement, politiquement ou physiquement la population colonisée – les Autochtones – afin d’établir totalement celle des colonisateur·rice·s – les Canadien·ne·s. Conséquemment, le soi-disant Canada a déployé et continue de déployer des politiques s’inscrivant dans cette logique d’élimination. Par exemple, historiquement, aux XIXe et XXe siècles, les pensionnats ont été créés par le gouvernement fédéral afin d’assimiler les Autochtones à la population blanche. Aujourd’hui, plusieurs mesures politiques et économiques témoignent de cette invasion et de cette élimination perpétuelles : stérilisations forcées, extinction des droits et des titres ancestraux dans la négociation de traités, imposition d’infrastructures coloniales, comme la construction de Coastal GasLink et de son terminal malgré l’opposition des chef·fe·s traditionnel·le·s des Wet’suwet’en, etc.
D’ailleurs, un rapport commandé par le gouvernement canadien lui-même, soit l’Enquête sur les femmes et les filles Autochtones disparues et assassinées, publiée en 2019, affirme que les Autochtones subissent un génocide de la part de l’État canadien. Ce rapport dénonçant les horreurs commises ira toutefois s'empiler avec les autres, pendant que les autorisations pour toujours plus de projets sur les terres volées seront signées, parce que la croissance est maître pour l'état capitaliste.
Les colon·ne·s sont là pour rester
Deuxièmement, les colon·ne·s sont là pour rester, implantant des institutions étatiques et coloniales auxquelles la population colonisée est soumise sous menace de répression et de violence. Cette répression ne survient pas seulement sous la forme d’incarcération, mais aussi de conflits récurrents sur les droits de pêche et d’occupation du territoire.
Des formes de violence plus symboliques ont aussi un effet dévastateur sur les communautés, puisque les conseils de bande et leurs élu·e·s ont été imposés uniformément, sans égards aux modes de décisions traditionnels des différentes communautés. Par exemple, la Loi sur les Indiens tente de soumettre les populations Autochtones sous l’autorité fédérale. De plus, afin de consolider ses structures coloniales, elle essaie de leur imposer un système de gouvernance, soit les conseils de bande. Le soi-disant Canada se tourne vers les élu·e·s des conseils de bande quand il veut s’adresser à des peuples Autochtones. Selon la Loi sur les Indiens, ces personnes sont les interlocutrices légitimes aux yeux de l’État.
Toutefois, dans ces peuples, la structure coloniale que constituent les conseils de bande et les élu·e·s qui y siègent manquent de légitimité. Certaines Nations, comme les Wet’suwet’en, maintiennent leur propre système de gouvernance traditionnelle, et ce, parallèlement à la structure coloniale. Ainsi, avant la construction du pipeline Coastal GasLink, alors que les élu·e·s des conseils de bande appuyaient ce projet, les chef·fe·s traditionnel·le·s Wet’suwet’en, jouissant d’une plus grande légitimité à l’interne, s’y opposaient. Malgré cette opposition, l’État colonial, décidant d’écouter uniquement les élu·e·s des conseils de bande, est allé de l’avant avec ce projet, réprimant violemment les membres de la Nation Wet’suwet’en qui ont occupé le territoire afin de bloquer la construction du pipeline. Bref, afin de consolider sa présence, le soi-disant Canada impose ses institutions étatiques et coloniales aux peuples Autochtones, et ce, sous la menace de les réprimer violemment en cas de contestation.
L’art de dissimuler sa nature profonde
Troisièmement, l’État colonial vise le monopole de la souveraineté sur le territoire. Cela signifie qu’il tente de fondre les nations Autochtones en des citoyen·ne·s canadien·ne·s sans droits collectifs. La présence des nations Autochtones dans la « nation canadienne » gêne l’État colonial, puisqu’elle montre que sa souveraineté est incomplète, et fondamentalement illégitime. De fait, alors que le soi-disant Canada prétend avoir le contrôle exclusif du territoire qu’il dit couvrir, en réalité, la superficie de celui-ci n’est pas cédée. Même si certaines parcelles dudit territoire ont fait l'objet de signatures de traités, le consentement de ces derniers était fréquemment truqué. Souvent ce qui était écrit sur ceux-ci ne correspondait pas à ce qui avait été négocié oralement. Par exemple, le territoire où vivent les Gitxsan, nommé Lax'yip, n’a pas été cédé. Par conséquent, en théorie, l’État canadien ne peut pas faire de projet sur les territoires qui ne lui appartiennent pas, sa souveraineté ne tenant qu'à un bout de papier signé par la reine d’Angleterre au fond du 19e siècle, un document qui a si peu de valeur que le gouvernement a lui-même commencé à faire signer des traités par la suite. Bref, la présence des peuples Autochtones sur le territoire que l'État canadien prétend détenir met en évidence sa nature coloniale. Pas étonnant qu'il veuille en faire disparaître les preuves, nommément les communautés Autochtones.
Par conséquent, afin de dissimuler son statut de colonie d’établissement, « l’État canadien » élabore un narratif et des politiques lui étant associées : récit créant une image stéréotypée de « l’Indien » figé dans le passé; discours présentant la colonisation comme chose du passé et la réconciliation comme préoccupation actuelle (Gouvernement du Canada, 2024, paragr. 1); tentative, en 1969 avec le Livre blanc, de mise en place de politiques « égalitaires » enlevant la spécificité des Autochtones dans le droit canadien, etc. De plus, l'État canadien produit ainsi des statistiques, données et rapports pour documenter ses relations avec les peuples Autochtones, diluant ainsi le point de vue des Autochtones sur leur propre histoire. Le « savoir » créé par l'État canadien, à sa faveur, crée du « non-savoir » à propos des perspectives Autochtones sur l'histoire de la colonisation. C'est ce que plusieurs nomment un « épistémicide ». En outre, dans la mise en œuvre de projets de développement économique comme Coastal Gaslink, le soi-disant Canada affirme avoir consulté préalablement les peuples Autochtones touchés par ceux-ci, même si, dans les faits, les consultations sont insuffisantes et ont lieu avec des personnes dont le point de vue n’est guère représentatif de celui de la communauté. Bref, ces politiques performatives prônent une « réconciliation » de façade, mais n'ébranlent en rien la structure coloniale qu'est l'État canadien.
Conclusion
Pour conclure, cet article a tenté de définir le colonialisme d’établissement, la façon dont s’impose sur une part de plus en plus grande du territoire en défendant des projets nocifs et polluants, repoussant les communautés qui l’en empêchent. Cet État, tentant de s’établir définitivement sur le territoire qu’il prétend détenir, doit, pour ce faire, éliminer culurellement, politiquement ou physiquement la population qui « l’entrave ». Ainsi, la logique d’élimination est la première caractéristique du colonialisme d’établissement. Ensuite, il s’agit d’une invasion permanente du territoire par le peuple des colon·ne·s, qui impose ses structures et son fonctionnement aux Autochtones. Enfin, l’État canadien tente de dissimuler sa nature coloniale et sa souveraineté incomplète en créant un narratif positif sur lui-même : la colonisation serait chose du passé, l’État consulte désormais les Autochtones, etc. Or, comme le montre l’imposition du projet colonial du gazoduc PRGT sur le territoire non cédé des Gitxsan, un tel discours n’est qu’un leurre.
Pour en savoir plus
Fanon, Frantz, 1992, Les damnés de la terre. Gallimard.
Manuel, Arthur et Derrickson, Ronald, 2018, Décoloniser le Canada, Écosociété.
Gouvernement du Canada, 2019, Réclamer notre pouvoir et notre place : le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles Autochtones disparues et assassinées.