S’il y a eu des contre-sommets et des manifestations lors de sommets internationaux dans les années 1980, par exemple à Berlin Ouest, ou contre le Forum économique mondial à Davos en Suisse dans les années 1990, c’est vraiment le Sommet de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à Seattle, en novembre 1999, qui a lancé la tradition des mobilisations altermondialistes. Évidemment, d’autres phénomènes ont précédé la célèbre Bataille de Seattle : le soulèvement des Zapatistes le 1er janvier 1994 (journée de l’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange nord-américain — ALÉNA), les campagnes de désobéissance civile contre l’Accord multilatéral sur les investissements (AMI), les « street-partys » des écologistes anticapitalistes de Reclaim the Streets, à Londres, les manifestations contre l’Asian-Pacific Economic Cooperation (APEC) à Vancouver, etc..

La Bataille de Seattle a été importante parce qu’elle a offert l’occasion de lancer la première antenne d’Indymedia, et parce que s’y sont retrouvées les diverses tendances qui allaient se mobiliser à chaque grande mobilisation altermondialiste : les syndicats de masse et les organisations non-gouvernementales (ATTAC, Greenpeace, Oxfam, etc.) organisant un Sommet des peuples et une grande manifestation « unitaire » encadrée par un puissant service d’ordre, des groupes anticapitalistes pratiquant la désobéissance civile non-violente (sit in, déroulement de bannière, etc.), des groupes anticapitalistes pratiquant la destruction de propriété privée et se confrontant aux forces policières (street-party, Black Blocs, etc.).

Les mobilisations altermondialistes se sont succédé rapidement : Washington et Prague en 2000 (Fonds monétaire international et la Banque mondiale), Québec (Zone de libre-échange des Amériques — ZLÉA), Göteborg (Union européenne), Gênes (G7) en 2001. Si les attaques aériennes du 11 septembre 2001 ont provoqué un choc même chez les altermondialistes aux États-Unis, les mobilisations se sont poursuivies, surtout en Europe et hors de l’Occident. 

Les Blocs et la diversité des tactiques

La première expérience de division des manifestations en zones de couleur semble avoir été tenté à Prague, en septembre 2000. Une zone était réservée au Black Bloc, une autre aux tuniques blanches (des activistes recouverts de rembourrage qui essayaient de bousculer la police avec la force de leur corps) et une dernière au Pink & Silver Bloc constitué de fées géantes et d’une fanfare de rue. C’est finalement ce dernier qui est parvenu à se faufiler dans les rues et à s’approcher suffisamment du centre de congrès pour en forcer l’évacuation, et donc la fin de la réunion.

Quelques mois plus tard, en prévision des manifestations à Québec, la Convergence des luttes anticapitalistes (CLAC) et le Comité d’accueil du Sommet des Amériques (CASA) ont développé le principe de « respect de la diversité des tactiques », qui consiste à accepter qu’une mobilisation anticapitaliste puisse accueillir en même temps diverses formes de manifestation. La zone rouge était ouverte à la confrontation avec la police (risque d’arrestation élevé), la zone orange — elle aussi très proche de la clôture de sécurité — à des actions de désobéissance civile non violente (sit in, lancé de papier de toilette au-dessus de la clôture, etc.), la zone verte pour le repos. De plus, le principe de respect de la diversité des tactiques évite que les diverses tendances radicales se critiquent et se dénoncent en public, ce qui avait fait le jeu des autorités et de la police, dans le passé. Si la police n’a pas toujours respecté (évidemment) cette division en zone, elle a été un succès pour la mobilisation anticapitaliste.

Les sommets pour l'environnement... ou le capitalisme vert

En 1992, le Sommet de la Terre à Rio, au Brésil, organisé par les Nations Unies, accueillait des personnalités politiques et environ 650 Organisations non gouvernementales. Nous voici 30 ans plus tard, et tous les indicateurs environnementaux sont au rouge… C’est sans doute ce qui explique l’ampleur du mouvement de la jeunesse pour le climat, avec ses grèves scolaires et ses manifestations de plusieurs centaines de milliers de personnes dans certaines villes, dont Montréal. Lors de la 15e conférence sur les changements climatiques (COP) qui s’est tenue à Copenhague, au Danemark, en 2009, des manifestations ont regroupé 50 000 à 80 000 personnes par grand froid. Et oui, il y avait encore des tensions entre réformistes et radicaux, et les arrestations par encerclement ont envoyé près de 1 000 personnes en détention. Défendre la planète peut avoir un coût… Lors de la COP à Paris en novembre 2015, des Black Blocs se sont formés en manifestation, après des semaines de discours alarmistes à ce sujet de la part des autorités. Plus récemment, il y avait encore plusieurs groupes manifestant à Glasgow, en Grande Bretagne lors du sommet de la COP26 (26e conférence « des parties » membres de l’ONU), en 2021. Et à Montréal en décembre 2022, combien serons-nous dans les rues ?

« Nous sommes une image du futur »

En 2000, le jeune mouvement altermondialiste prédisait que la mondialisation néolibérale que géraient les grands sommets internationaux allait entrainer des catastrophes. Une génération plus tard, la catastrophe est arrivée : suite de guerres impérialistes au nom de la « guerre au terroriste », crise financière de 2008, aggravation des inégalités, corruption, accélération du dérèglement climatique. Les grands sommets internationaux pour le climat et la planète mobilisent à chaque fois des milliers de personnes dans des centaines de délégations, depuis 1992, et où en sommes-nous ? Lors d’émeutes anarchistes en Grèce, des activistes du Black Bloc déclaraient : « Nous sommes une image du futur ». La lutte ne cessera qu’avec la fin des élites, ou la fin du monde.