Les subventions aux entreprises de la filière batterie ne servent qu'à sauver l'industrie automobile et accroître sa domination sur les autres moyens de transport. Cette industrie dépend d'un mode de transport qui renforce les inégalités sociales, que ce soit au niveau du sexisme, du racisme ou du capacitisme. En effet, le transport centré sur l'automobile vient renforcer ces inégalités déjà présentes dans la société actuelle. Nous montrerons d'abord comment ces logiques dépassent les inégalités économiques liées à ces oppressions. Par la suite, nous verrons que l’automobile exclut aussi plusieurs personnes vu les importantes capacités nécessaires pour opérer une voiture. Finalement, nous verrons comment l’automobile approfondit la hiérarchie raciale déjà présente par le biais de la police.

L'automobile est un moyen de transport dispendieux: à Montréal, l'automobiliste moyen consacre au minimum 4500$ annuellement à son véhicule, alors qu'un abonnement annuel à la STM coûte 1164$ et qu'on s'en tire en Bixi pour moins de 200$. Avant même de pouvoir commencer à conduire, il est nécessaire d'investir des centaines de dollars pour les cours de conduite et toute la paperasse nécessaire. On pourrait donc penser que la majorité des problèmes avec l’inclusivité de l’automobile émane de son coût. Toutefois, les inégalités économiques ne suffisent pas à expliquer les logiques propres qui en découlent dans les inégalités de transport, étant donné que les différences de salaire, de l'ordre de 20%, ne suffisent pas expliquer l'écart. En effet, dans la plupart des pays occidentaux, les personnes s’identifiant comme femme sont près de deux fois plus représentées dans l’usage des transports en commun et de la marche que les personnes s'identifiant comme homme1. Les raisons sont multiples: les femmes sont plus sujettes à faire des trajets courts, par exemple pour amener des enfants ou des personnes âgées à des soins ou à des services scolaires en plus d'être plus souvent en charge de faire les courses. De plus, lorsqu'un couple hétérosexuel possède une voiture, c'est la plupart du temps pour le travail de l'homme, plus valorisé parce que très souvent mieux rémunéré. Mais, quelles qu'en soient les raisons, lorsque l'on finance l'industrie automobile, on finance principalement le transport des hommes.

Du côté des personnes racisées, le transport en commun est beaucoup moins développé dans les quartiers où les personnes racisées sont fortement représentées. À Montréal, la logique est d’autant plus exacerbée que le REM, le nouveau projet de transport collectif structurant, est établi directement dans une logique de profit, puisque la Caisse de dépôt et placement Québec (CDPQ) vise à financer les retraites avec le projet. Ceci veut dire qu’il est principalement implanté dans les secteurs qui vont lui permettre de tirer des bénéfices, donc bien loin de Montréal-Nord ou de Côte-des-Neiges, alors que ces quartiers bénéficieraient le plus de ces projets. De plus, le racisme environnemental fait en sorte que les quartiers ayant les plus fortes populations racisées sont aussi ceux où les autoroutes sont les plus nombreuses. On se retrouve avec des quartiers comme Parc-Extension, où le transport en commun est le moyen le plus populaire pour aller au travail, qui se fait traverser de boulevards urbains dangereux au service des personnes qui n'habitent même pas le quartier.

La conduite d’une voiture demande plusieurs capacités: une vision presque parfaite, une longue capacité d’attention, des habiletés motrices, etc. Ces exigences ont pour effet de laisser derrière plusieurs personnes qui n'ont pas ces habiletés, que ce soit à cause de leur âge ou de problèmes moteurs, temporaires ou permanents. C’est même pourquoi la plupart des services de transport en commun possèdent des services de transport adapté. En laissant pour compte ces services pour financer fortement l’industrie automobile, on oublie qu’on est tou·te·s à certains moments inaptes à conduire, que ce soit suite à une fête ou suite à une chirurgie. En fournissant trop peu d'alternatives au transport automobile, on facilite les choix dangereux effectués par plusieurs personnes. On blâme souvent les conducteur·trice·s pour les accidents de la route, mais il demeure qu'en moyenne année après année, 20 fois plus de personnes meurent dans des accidents de la route que dans des accidents de transport en commun. Ce n'est donc pas les conducteur·rice·s qui sont dangereu·se·x, mais l'automobile comme moyen de transport. Au soi-disant Québec, près de 4 fois plus de personnes sont tuées dans des accidents de la route que par arme à feu. 

Finalement, la réponse aux nombreuses personnes tuées par des automobiles a été des pratiques coercitives et répressives, qui en retour renforcent les pratiques discriminatoires. En effet, c'est à partir des années 1920 que les rues seront tranquillement réappropriées par les voitures et deviendront un espace exclusif pour celles-ci, contrôlé par la police2. Entre 1910 et 1930, 16 États états-uniens ont doublé leur force de police, sans compter la forte augmentation des budgets associés à la motorisation de la force policière3. En tant que solution de transport dysfonctionnelle et meurtrière, l’automobile a normalisé le fort contrôle policier dans tous les moyens de transport, que l’on pense aux agents de la STM ou au Code de la route qui s’applique aussi bien aux cyclistes, malgré qu’iels soient beaucoup moins à risque de tuer qui que ce soit par inadvertance. En augmentant fortement la présence policière, la discrimination envers les minorités se poursuit de manière disproportionnée, comme le montre l'expression Driving While Black, utilisée pour montrer que les personnes noires sont disproportionnellement arrêtées en voiture par les services policiers.

Lorsque l’on favorise le transport automobile, on se retrouve à discriminer les personnes qui subissent déjà les inégalités sociales. Que ce soit des quartiers sous-desservis en transport en commun, les autoroutes qui viennent polluer les quartiers les plus défavorisés, les parcs et commerces pour lesquels l’accès est restreint à celles et ceux qui peuvent se payer une voiture, il est clair que la motorisation renforce les inégalités existantes. À cela s’ajoutent les dynamiques de contrôle social qui maintiennent les inégalités sociales, comme la police. Pour une société plus juste, il faut un transport plus juste!

Notes

  1. Criado Perez, Caroline. (2019). Invisible Women, Exposing data bias in a world designed for men. Londres: Vintage.
  2. Norton, Peter D. (2008). Fighting Traffic, The Dawn of the motor age in the American city. Boston: MIT Press.
  3. Seo, Sarah A. (2019). Policing the Open Road, How cars transformed American Freedom. Cambridge: Harvard University Press.