Malgré plus d’une décennie de résistance acharnée et de luttes soutenues contre Costal Gas Link (CGL) et TC Énergie, prédécesseur du PRGT sur le territoire non-cédé des Wet’suwet’en, l’automne 2022 a marqué un tournant tragique pour le Yintah et l’écosystème fragile qui en dépend. Le début des travaux sous la Wedzin Kwa, rivière sacrée, a porté un coup dur aux défenseur·euse·s de cette terre ancestrale et à celleux qui se battent pour préserver l’équilibre écologique de cette zone. Cet acte de dégradation irréversible des terres et des eaux représente bien plus qu’une simple avancée de projets industriels; il incarne une entrave directe à la culture, aux traditions et à l’avenir des communautés Autochtones locales. La crise écologique s’aggrave et les projets de pipelines se perpétuent, et ces expériences, empreintes de résilience et de sacrifices, nous poussent à tirer des leçons pour affiner nos stratégies, à renforcer nos capacités d’organisation et à amplifier nos efforts afin de maximiser l’impact de notre résistance face à une menace persistante. Nous effectuerons un survol des offensives extractives et coloniales auxquelles nous faisons face, suivi de quelques idées à prendre en compte pour les luttes à venir.

Désastre écologique : le cas du saumon Sockeye
À l’automne 2022, sous les yeux effarés des défenseur·euse·s Wet’suwet’en occupant le territoire, TC Énergie commence les travaux sous la rivière par une technique de pointe d’installation de tuyaux, négligeant la technique habituelle qui consiste à creuser au préalable une tranchée, en enfonçant plutôt les tuyaux à l’aide d’un marteau hydraulique. Cette technique est supposément plus sécuritaire pour l’environnement, empêchant a priori de perturber la surface et les écosystèmes.

[Source image](https://unistoten.camp/cgl_damage/) (Texte Image: l'équipement et les autres infrastructures se sont enfoncés dans les zones humides malgré l'utilisation de la technique "de pointe" de traversée sans tranchée (trenchless crossing). Ceux-ci entourent la rivière, qui est fédéralement protégé, et sont une composante importante des écosystèmes de la région1L’équipement et les autres infrastructures se sont enfoncés dans les zones humides lors de la crue malgré l’utilisation de la technique « de pointe » de traversée sans tranchée (trenchless crossing). Ces zones humides entourent la rivière, qui est fédéralement protégée, et sont une composante importante des écosystèmes de la région.

Comme si ravager des terres sacrées n’était pas assez problématique en soi, TC Énergie le fait en pleine saison de reproduction du saumon, à proximité d’une population (de saumon) qui se reproduit en aval du passage2. Alors qu’historiquement l’espèce de saumon Sockeye se comptait par millions, dans les dernières années, seulement quelques milliers de celle-ci ont été dénombrés. Des travaux de ce genre ont un impact direct sur les sites de reproduction d’une espèce qui est menacée et qui constitue une importante source d’alimentation pour les peuples Autochtones situés autour de la rivière Skeena, dont font partie les Wet’suwet’en. Plusieurs Nations de cette rivière et de ses affluents ont décidé depuis quelques années d’arrêter la pêche au saumon, de peur de voir la population diminuer à un seuil en deçà duquel elle ne pourrait plus se reproduire. Bien sûr, les pêcheur·se·s commerciaux·ales, situé·e·s à l’embouchure du réseau vers le Pacifique, se battent bec et ongles pour préserver des quotas de pêche insoutenables.
Néanmoins, ce qui met en danger les sites de reproduction dans ce cas-ci, ce n’est pas la pêche domestique, mais principalement l’érosion de sédiments venant des divers sites de construction des infrastructures supportant le projet, notamment la demande d’un accès rapide lorsque des réparations sont nécessaires. Ces particules asphyxient les poissons et les œufs en diminuant le taux d’oxygène dans l’eau. Ces conséquences retombent toujours sur d’autres personnes que celles qui ont causé les dommages initiaux, perpétuant ainsi divers systèmes d’oppression.

En novembre 2023, alors que TC Énergie a terminé la première phase du projet, rendant le pipeline opérationnel, mais pas encore à sa pleine capacité, les sanctions et amendes infligées par le gouvernement provincial pour non-respect des normes environnementales totalisaient 346 000$3, puis 590 000 $ en septembre 20244. Ces pénalités ont été imposées principalement pour l’incapacité à gérer correctement l’érosion du territoire, ainsi que pour la dégradation et la destruction de milieux humides. Ces zones sont des abris pour le castor et le caribou, des refuges pour les oiseaux et l’habitat de plusieurs espèces de plantes comestibles utilisées par les communautés Autochtones du Yintah. Ces nombreuses infractions environnementales totalisent des sommes insignifiantes comparativement à la subvention du fédéral au projet, soit environ 200 millions de dollars canadiens5. Ces amendes paraissent d’autant plus absurde et ridicule lorsqu’on se souvient qu'on a affaire à des compagnies dont la richesse est supérieure à celle de certains pays. Devant cette destruction, et le désir de croissance ad infinitum, les Premiers Peuples sont encore laissés à eux-mêmes pour combattre ces entités plus grandes que nature.

Un (gros) prix de consolation

Sur une note un peu plus positive, le coût total du projet finira par être 8,3 milliards de dollars6 au-delà des estimations initiales7, amenant le projet à dépasser les 14 milliards de dollars8. Ce dépassement des coûts non-négligeables est certainement dû, entre autres, aux différentes mobilisations et actions menées contre le CGL. Parmi les problèmes auxquels TC Énergie a fait face, on compte le sabotage nocturne9 de l’hiver 2022 qui a causé des dommages de plusieurs millions de dollars en équipements.

En bons capitalistes qu'ils sont, TC Énergie a refinancé le projet de 7,1 milliards de dollars supplémentaires en juin 2024. Le refinancement est une technique qui, par le biais d’obligations mises en vente sur le marché et disponibles à des investisseurs privés, permet le déplacement temporel du paiement de certaines dettes. Eh oui, mauvaise nouvelle, les corporations peuvent émettre des obligations de la même manière que les gouvernements, mécanisme par lequel on récolte une énorme confiance d’un grand nombre d’investisseurs (principalement des banques et des sociétés de gestion), se basant sur l’idée du Too Big To Fail. Cependant, cette confiance est de plus en plus menacée. En 2017, TC Energy a décidé de vendre le projet PRGT à de nouveaux propriétaires, ce qui témoignait déjà d’une baisse de confiance dans la mise en marché d’un projet similaire par la compagnie. 

Dans ce contexte, d’énormes dégâts peuvent être faits au profit de l’entreprise de diverses manières, celles-ci étant seulement contraintes par l’imagination de celleux qui les perpétuent. Les actions directes spectaculaires peuvent causer des dommages directs, mais il est aussi possible de ternir l’image de l’entreprise ou d’augmenter la pression sur les gouvernements qui autorisent ces projets. Dans l’objectif de réduire l’intérêt des investisseurs internationaux pour les ressources énergétiques du soi-disant Canada, il suffit d’introduire une bonne dose de risque hasardeux et d’instabilité, ainsi que d’augmenter les coûts d’exploitation.

À propos de Shut Down Canada
En 2020, les communautés militantes du soi-disant Canada ont répondu fortement à l’appel de solidarité des Wet’suwet’en, en s’attaquant aux rails de chemins de fer, dans le but de freiner – au moins pour un certain temps – l'économie canadienne. Une tentative de forcer la main au gouvernement en pressant là où ça fait mal, à savoir dans le portefeuille. Ce n’est pas la première fois ni la dernière, que de telles stratégies seront employées, avec des résultats divers. Cependant, tout effort de résistance anti-coloniale dans un environnement capitaliste sera éventuellement effacé par le temps, tel un château de sable nettoyé par une marée inattendue qui viendra, inévitablement, nous prendre par surprise. Une société décolonisée ne pourra réellement exister qu’au moment où le capitalisme, le patriarcat, la suprématie blanche, le capacitisme et les autres systèmes de domination cesseront leur emprise hégémonique sur nos vies.

Si nous nous trouvons piégés par l’attente et l’incertitude, inspirons-nous du courage et des tactiques des communautés opprimées et montrons-nous solidaires à celles-ci. Créons des liens de confiance sincères basés sur l’écoute et le respect de leurs besoins. 

Le but est de faire des actions qui à la fois font mal au portefeuille des possédant·e·s et qui augmentent l’appui populaire aux défenseur·euse·s des territoires. Or, la résistance à un système injuste ne peut se limiter à des actions d’opposition, elle doit également inclure une préfiguration. En ce sens, l’exemple des Wet’suwet’en est inspirant, puisqu’iels nous montrent qu’il est possible d’occuper le territoire en fonction des différents besoins de ses habitants, de s’exercer à cultiver des relations personnelles égalitaires et de créer des espaces d’autonomie et de résistance. Ce n’est pas un simple combat pour obtenir plus de droits au sein du système actuel, mais c’en est surtout un pour un renversement de la structure coloniale et génocidaire du soi-disant Canada. La solidarité, dans ce contexte, prend une forme radicale. Elle n’est pas simplement symbolique, mais elle se manifeste dans des pratiques concrètes de résistance et de préfiguration.

Préfigurer localement, travailler à construire des communautés conviviales et libérées des contraintes capitalistes, coloniales et oppressives, c’est une arme qui, d’une part, affaiblit le pouvoir du capital en minimisant notre dépendance au système économique, et d’autre part, nous libère et concentre nos forces vers les choses qui nous importent, tout en agissant comme un exemple inspirant pour d’autres voulant suivre notre chemin.

Pour ce qui est de la résistance, diverses stratégies engendreront des impacts différents. Frapper au hasard le blob informe de capitaux permet de conscientiser et de radicaliser l’imaginaire collectif, d’élargir le bassin de militant·e·s et d’augmenter nos capacités collectives de luttes, sur le long terme. D’un autre côté, si l’objectif est d’éradiquer un projet capitaliste colonial quelconque, mieux vaut adopter une résistance précise, voire chirurgicale, qui répond directement à l’attaque d’un agent particulier et défini – comme une compagnie et sa chaîne de production, un gouvernement et ses infrastructures, une banque et ses investissements. On a affaire à une machine puissante, certes hégémonique dans le présent moment, mais fragmentable et attaquable bout par bout. Notre force collective viendra à la fois de notre capacité à ratisser large grâce à une organisation décentralisée, et une multitude de résistances à des projets concrets et plus facilement déconstruits.

Dans le cas de Shut Down Canada en 2020, l’attaque des rails n’a pu remplir son objectif d’empêcher la construction du pipeline. Le fait que la cible des tactiques militantes était éloignée de l’ennemi en question, CGL, y a probablement contribué. On peut penser que des attaques dirigées plus directement vers TC Énergie et sa chaîne de production auraient pu avoir d’autres effets. Cependant, il ne faut pas minimiser les lourdes pertes engendrées par le blocage de chemins de fer en 2020. Les mouvements sociaux des dernières années ont rarement eu un tel impact sur l’économie canadienne, principalement en raison des blocages prolongés des rails en Ontario par les communautés Autochtones locales. 

En somme, que l’on s'attelle à la construction d’alternatives au capitalisme ou à la résistance, il est difficile de proposer un changement si radical, surtout lorsque le risque est grand. Les forces du système colonial confortent les colon·ne·s dans leurs privilèges et neutralisent sans cesse leur volonté de dépasser des actions concrètes réformistes. Il est important de considérer l’impact de ces choix sur les vies des opprimé·e·s, et, dans un contexte de crise climatique, sur la vie de toutes les générations futures. Pour les militant·e·s allochtones, être réellement anticolonial, ça implique d’opposer, à la hauteur de ses moyens, une autre façon de vivre à l’actuelle culture dominante et à ses instruments de contrôle : c’est un chemin ardu, mais nécessaire.

Conclusion

De façon prévisible, les mots de TC Énergie sur la « conservation environnementale » et la « réconciliation », ainsi que ceux de nos gouvernements, sont vides de sens : ce sont de l’écoblanchiment et du redwashing. Chaque geste de résistance, chaque stratégie de sabotage ou d’organisation solidaire visent à affaiblir ce système et sa propagande. Parallèlement, la force de résistance réside dans notre capacité à préfigurer un autre avenir, loin de l’emprise de la machine économique. C’est en construisant des communautés autonomes que pourront émerger des alternatives anti-oppressives et que pourriront une par une les tentacules du capitalisme colonial.​​​​ Ainsi, la lutte pour la souveraineté des peuples Autochtones et la préservation des terres n’est pas qu’une simple réaction à une oppression continue; elle est une affirmation d’un avenir où ces terres, ces cultures et ces façons de vivre ne sont pas seulement protégées, mais respectées et nourries.

Références

1. https://unistoten.camp/cgl_damage/ 

2. http://www.michaelprice.org/uploads/1/0/8/9/108971119/price_etal_2021_portfolio_simplification.pdf 

3. https://www.cbc.ca/news/canada/british-columbia/coastal-gaslink-fines-1.6974895 

4. https://www.cbc.ca/news/canada/british-columbia/coastal-gaslink-fined-590k-1.7322118

5. https://www.nationalobserver.com/2024/07/23/news/feds-loaning-coastal-gaslink-200-million

6. https://www.coastalgaslink.com/whats-new/news-stories/2024/2024-11-19-cgl-announces-commercial-in-service/ 

7. https://www.pipeline-journal.net/news/coastal-gaslink-pipeline-enters-next-phase-focus-cleanup-and-reclamation-2024 

8. https://www.coastalgaslink.com/whats-new/news-stories/2024/2024-11-19-cgl-announces-commercial-in-service/

9. https://mtlcontreinfo.org/wp-content/uploads/2022/10/BetweenStorms-read.pdf)