Démanteler le capitalisme et bâtir des alternatives collectives

« Le temps presse » nous disent nos gouvernements. C’est cette urgence d’agir qui justifie la construction d’une méga-usine de batteries avant la tenue d’une évaluation environnementale. « La planète brûle, donc vite!, il faut ouvrir la voie le plus vite possible aux compagnies privées pour qu’elles nous aident à régler le problème. » Face à ce greenwashing hypocrite, on n'est pas les seul·e·s à remarquer qu’il y a quelque chose qui cloche. Les plus puissants profitent de notre écoanxiété pour ouvrir la voie à l’autoritarisme et à la privatisation, en pilotant eux-mêmes ce qu’ils appellent une « transition écologique ». Pourtant, c’est tout le contraire qu’il nous faut. Il nous faut se défaire de l’emprise des grandes entreprises, il nous faut reprendre le pouvoir de s’organiser pour que ce soit d’une manière réellement durable. Car tant que les compagnies privées auront un mot à dire, on restera enchaîné·e·s dans leur quête de profit. La transformation socio-écologique ne peut se faire qu’en prenant collectivement le contrôle de l’économie, en démantelant les bases matérielles du capitalisme tout en organisant notre subsistance collectivement.

Décentraliser l'initiative et le pouvoir d'agir

On a pu voir au fil des articles de ce numéro toutes les conséquences délétères du capitalisme vert: expropriation, exploitation, pollution, oppression, extinction... Celles-ci s'aggraveront tant que la crise écologique sera vue comme une occasion en or de faire des profits. Car il est clair que les transformations économiques et sociales nécessaires pour faire halte aux dégradations environnementales n'ont rien de profitable économiquement. On ne pourra pas faire d'argent avec la protection du territoire et des cours d'eau, le reboisement, la désindustrialisation et le retour du travail manuel, la relocalisation des industries qu'on avait envoyées à « l'étranger », l'allongement de la durée de vie des produits ou encore la réduction de la production et de la consommation. Ce ne sont pas nos dirigeants ni les grandes entreprises qui vont admettre ce fait. En effet, l'entreprise privée ne se soucie que de son succès à court terme et ira chercher toutes les occasions qu'il lui reste de s'en mettre plein les poches, en s'assurant de donner l'impression qu'elle fait partie de la solution. La seule manière de reprendre le pouvoir sur la transition écologique est de s'en prendre aux bases matérielles du capitalisme vert.

Il y a plusieurs façons de s'attaquer à ce grand capital, qui dépend du colonialisme, de l'impérialisme et du patriarcat pour se maintenir. Miner ces systèmes d'oppression, c'est affaiblir la capacité du capitalisme à retarder ses contradictions inévitables. Exposer les conditions de travail inhumaines des travailleur·euse·s migrant·e·s temporaires au soi-disant Canada, soutenir des communautés autochtones dans leurs luttes locales contre des entreprises et les gouvernements coloniaux, attaquer les minières canadiennes ici et à l'international; toutes des actions qui se complètent et se renforcent mutuellement. Ainsi, les syndiqué·e·s peuvent tenter d'obtenir des engagements de réduction des gaz à effet de serre de leurs employeurs dans leurs conventions collectives alors que les écologistes peuvent bloquer les tentatives d'expansion capitaliste. Bref, le choix des moyens de lutte est à chacun·e, puisqu'on est plus heureux·ses et efficaces lorsqu'on fait ce qu'on aime avec des personnes que l'on aime. Il ne faut se laisser contraindre à une voie unique d'action, mais se diversifier pour créer des epaces pour les allié·e·s hors de nos cercles rapprochés.

Organiser notre subsistance collectivement

En même temps que de multiplier les initiatives pour démanteler l'ordre capitaliste, il nous faut aussi se mettre en commun pour organiser des réseaux alternatifs de subsistance. Remplacer les voitures à essence par des voitures électriques sans repenser notre manière de se transporter ne peut pas constituer une option durable. Ce n’est qu’en consolidant des alternatives collectives qu'on pourra entrevoir un avenir viable. En dehors de l’économie « formelle » du système capitaliste existent déjà aujourd’hui une foule d’initiatives collectives qui permettent à plusieurs de satisfaire des besoins à l’extérieur de la sphère marchande : groupes de dumpster diving et cuisines collectives, jardins communautaires, squats autogérés, communautés de support pour le soin des enfants et des aîné·e·s, partage de véhicules, ateliers collectifs de réparation, bibliothèques de livres, d’outils, d’instruments de musiques et de toutes sortes de choses… Ces initiatives, qui viennent souvent d'une réaction palliative au capitalisme ayant failli à la tâche de répondre aux intérêts communs, ouvrent aussi un champ de possibles. Soutenir et étendre ces réseaux de solidarité est une des meilleures choses qu'on puisse faire dans les temps qui courent, car en assurant notre subsistance collective en dehors de la sphère marchande, on se donne les moyens d'attaquer le capitalisme de plein front pendant qu'on jette les bases d'une société post-capitaliste.

C'est en subvenant à nos besoins collectivement en dehors des circuits marchands qu'on peut se défaire de l'emprise du capitalisme. Cela nous libère du temps et de l'argent pour prendre soin des autres, résister et combattre, en plus de s'assurer que tous·te·s aient droit à une vie digne. Alors que les attaques contre la machinerie capitaliste haussent le coût de ce qui détruit la nature, nos initiatives collectives et communautaires se retrouveront de plus en plus viables et supportées par la population. C'est en se supportant mutuellement qu'on réussira à faire vivre et grandir un mouvement solide et durable.

Qui plus est, la confiance et la solidarité se construisent dans la pratique. Dans un monde individualisé où chacun·e est appelé·e à se concevoir comme une entreprise, la compétition et la domination sont ancrées profondément. Si le monde auquel on aspire est caring et solidaire, on doit cultiver dès maintenant les attitudes qu'on valorise pour les faire advenir, en prenant soin des autres et en travaillant ensemble. Nos pratiques doivent préfigurer la société à laquelle nous aspirons. Il n'y a rien de tel que de mettre les pieds pour la première fois sur un campement écologiste, un camp de tentes et de militant·e·s qui, en plus d'être positionné stratégiquement pour opposer un projet néfaste, crée une mini-société le temps d'une lutte où tous·tes s'organisent ensemble pour vivre. C'est dans de tels contextes que la bienveillance, l'ouverture, l'entraide et la coopération se forgent à travers l'expérience vécue du soutien mutuel au quotidien. Les pratiques et structures qu'on développe à travers ces activités collectives aujourd'hui constituent les bases d'une manière différente de penser l'économie. En s'organisant en dehors de la sphère marchande, on contribue à bâtir la société de demain.

À nous d'agir

Ce ne sont pas les gouvernements qui nous protègent des multinationales, mais la résistance populaire, que ce soit par la rue ou par les clous. La lutte contre Northvolt ouvre de nouveaux espaces pour penser de réelles alternatives de transport. C'est de questionner haut et fort la logique de l'électrification qui permet de réouvrir des débats sur l'étalement urbain, le transport en commun et le vélo. Et c'est en consolidant les alternatives au transport individuel qu'il deviendra évident que ce qu'il nous reste à faire est de nous débarrasser du parc automobile et des autoroutes. On est les seul·e·s à pouvoir mettre un terme à cette mascarade: il ne reste qu'à prendre conscience que c'est à nous d'agir.