Le discours de la crise climatique a  trop longtemps été accaparé par les entreprises et les médias qui ont mis de l’avant des solutions  insatisfaisantes. Mais quoi de plus rassurant quand les solutions peuvent tenir sur une belle liste d’épicerie: acheter des aliments biologiques et locaux, cuisiner zéro déchet, laver et astiquer la maison avec les produits les plus écologiques sur le marché, manger végétalien, utiliser le vélo ou le transport en commun pour toutes ces belles emplettes, composter, recycler, éduquer les enfants à devenir des citoyen·ne·s écoresponsables et ne pas oublier de les amener marcher pour l’environnement une fois en automne et une fois au printemps. Pour compléter cette liste, n’hésitez pas à consulter un bon vieux guide de la ménagère des années soixante et à y ajouter quelques éléments du discours néolibéral sur l’environnement. 

Cette forme d’écologie crée une pression indue sur des groupes ciblés, les personnes  femmes et  queer, puisque les tâches domestiques leur  sont encore disproportionnellement attribuées. Ces personnes se retrouvent avec une nouvelle charge  mentale: prendre soin de ce  que la société détruit. Toutefois, les outils qui leur sont offerts n’ont que trop peu d’effets tangibles sur la crise. C’est une stratégie  vouée à l’échec; ces solutions peuvent même diviser les personnes qui font le travail de soin et c’est pourquoi nous présenterons des solutions collectives.

Solutions écologiques ou outil capitaliste?

Il n’est pas innocent ni imprévu que la lutte environnementale soit réduite à la  gestion de la maison et du ménage de la famille traditionnelle. Le système capitaliste profite du transfert de responsabilités vers des populations particulières pour se laver les mains du problème et trouver de nouvelles avenues pour  faire des profits. Les gestes individuels s’agencent très bien avec une toute nouvelle forme de  consommation responsable qu’on peut associer à un phénomène d’écoblanchiment. 

En effet, les entreprises se permettent une nouvelle forme de manipulation des masses en créant une division de la consommation: une consommation acceptable et une qui ne l’est pas. Ce message ajoute encore plus à la charge des personnes ayant des enfants, surtout les femmes des ménages traditionnels, qui doivent correspondre à l’image de la «bonne mère/du bon parent» qui consomme bien pour prendre soin. On capitalise sur les caractéristiques essentialistes des femmes en véhiculant le message que cette consommation n’est pas seulement meilleure pour la planète, mais pour les enfants. 

Diviser pour régner: compétition et oppression au sein de la lutte environnementale

Cette division contribue aussi à la compétition qui monte ces femmes et ces personnes les unes contre les autres. On incite les « bonnes » mères/parents, cochant toutes les cases de la liste d’épicerie, à shamer les autres qui n’en font pas assez. Cette dynamique s’inscrit souvent dans les dynamiques d’oppression déjà présentes lorsqu’on observe que ces « bonnes » mères sont celles qui ont le pouvoir d’achat pour se procurer les produits responsables toujours plus chers. Ce sont souvent des femmes blanches, cisgenres, hétérosexuelles, non handicapées et aisées. 

L’ajout de tâches domestiques vertes encombre ces personnes d’un perfectionnisme malsain qui les épuise complètement. Il ne reste que peu de temps pour des actions politiques, ce qui renforce les dynamiques déjà genrées dans certaines organisations. Démuni·e·s et épuisé·e·s, iels peuvent se réconforter dans l’impact imaginé de ces actions qui a été construit par le discours populaire. Il ne reste alors que peu de place pour la solidarité et l’action collective qui leur permettraient de réellement s’émanciper en construisant une société plus juste, où toustes peuvent avoir un pouvoir d’action, pas seulement les femmes privilégiées. 

Femmes impuissantes, hommes au pouvoir

Ainsi, l’écologie individuelle permet d’offrir un semblant de solution pour calmer «  l’hystérie écoanxieuse féminine  » devant le problème et pour que les hommes à la tête des grandes compagnies puissent jouir de leur liberté de détruire. Alors, ces hommes cis et blancs peuvent se déresponsabiliser de la lutte environnementale.  D’autant plus que lorsqu’elle est reléguée à la maison et aux femmes, elle devient plus facilement dévalorisée et ridiculisée par ceux-ci. Pensons, par exemple, aux discours réactionnaires qui affirment que les vrais hommes doivent manger de la viande et conduire les autos de sport les plus luxueuses (et polluantes). Le système capitaliste - responsable des autres formes d’oppression des femmes et des personnes queer - s’en retrouve renforcé au détriment des écosystèmes humains et naturels. 

Repenser nos combats: le pouvoir de l’action collective

Toutefois, il existe d’autres solutions à investir. Les luttes écologistes ont beaucoup à apprendre des luttes des communautés racisées: elles se sont depuis longtemps organisées collectivement et pointées le réel responsable du doigt, soit le système capitaliste qui exploite les écosystèmes, autant humains que naturels. Nous pouvons prendre comme exemple les femmes du mouvement Chipko en Inde dans les années 1970 qui se sont organisées à de nombreuses reprises pour protéger des forêts qui allaient être coupées. Elles ont mobilisé des personnes travailleuses et habitant les villages à réaliser de multiples actions directes de désobéissance civile. Elles ont occupé des forêts d’Adwani en se ressemblant autour de chacun des arbres, ce qui a réussi à bloquer la coupe de ceuxci en faisant reculer la police(1). Plus proches de nous, à  Uashat Mak Mani-Utenam, les femmes de la communauté innue se sont organisées collectivement pour bloquer le projet de construction de pylônes de ligne électrique  par Hydro-Québec. Bien que le conseil de bande ait accepté plus d’argent pour laisser le projet aller de l’avant, ces femmes ont continué le blocus, et ce malgré leur criminalisation(2).

Ce type de lutte nous montre qu’il est nécessaire de retourner à la source du problème pour agir de manière concrète et efficace, et que nous devons nous rassembler pour le faire. Il est de notre responsabilité collective de s’y mettre toustes.  Il ne suffit pas d’arrêter d’acheter du papier ou d’utiliser du papier recyclé, il faut empêcher les compagnies d’accéder aux forêts pour faire du profit sur des besoins exagérés. Il ne suffit pas d’acheter biologique que pour sa famille, il faut s’organiser collectivement pour que toustes puissent subvenir à leur besoin tout en protégeant leur santé et celle des écosystèmes. Il ne suffit pas d’essayer d’être zéro déchet seul·e, il faut arrêter les compagnies qui produisent les déchets irresponsablement et reprendre les moyens de production pour s’assurer que leur usage soit  raisonnable pour nos besoins et respecte l’environnement duquel nous dépendons. Il ne suffit pas  d’acheter des voitures électriques pour réduire notre impact sur les changements climatiques, il faut forcer les entreprises à laisser le pétrole dans le sol en supportant les communautés autochtones qui se battent contre les pipelines.

Bref, il faut remettre le problème de l’environnement dans la sphère publique et démocratiser la lutte pour qu’elle soit accessible et assez puissante pour changer l’ordre des choses. Nous ne le ferons pas seul·e et nous ne le ferons pas sans coopérer. La lutte environnementale est collective, elle ne devrait laisser aucune personne derrière en reconnaissant la diversité des situations et des oppressions, et elle devrait nous donner les moyens de recréer une société plus juste et fonctionnelle pour nous et la planète.

 

Notes:

1. Pour en savoir davantage, voir cette entrevue avec Vandana Shiva:  https://bitly.guru/YYPcE

2. Pour en savoir davantage, voir https://bitly.guru/YlHqP